- GÉNIE GÉNÉTIQUE
- GÉNIE GÉNÉTIQUELa recombinaison génétique consiste en un échange de gènes entre deux chromosomes. Chez l’homme, elle est un événement systématique au cours de la formation des cellules reproductrices, ovules ou spermatozoïdes. Les recombinaisons multiples qui ont lieu à cette phase de la différenciation cellulaire contribuent au brassage perpétuel des caractères héréditaires au cours des générations successives. Chez les bactéries, au contraire, les échanges génétiques sont beaucoup plus limités et n’ont qu’un caractère accidentel. Il arrive, par exemple, qu’un virus bactériophage, c’est-à-dire parasite de bactéries, intègre par recombinaison génétique un gène bactérien dans son patrimoine génétique et le véhicule d’une bactérie hôte à l’autre (fig. 1). En fait, tous ces phénomènes de recombinaison génétique restent limités à l’intérieur d’une espèce, dans la mesure où une barrière biologique empêche le transfert d’ADN (molécule constituant les gènes) entre espèces différentes.La recombinaison génétique in vitro par contre permet de fusionner «dans un tube à essai», grâce à des enzymes, des molécules d’ADN d’origine quelconque. Ainsi, il est devenu possible d’intégrer dans l’ADN d’un bactériophage un gène appartenant à une espèce très éloignée (fig. 2). D’autre part, on sait réintroduire dans une bactérie l’ADN hybride ainsi obtenu, on peut propager et amplifier le gène dans cette bactérie. Prenons un exemple concret. Le gène de l’hémoglobine du lapin peut être fusionné in vitro à l’ADN du bactériophage lambda et, cette molécule hybride ayant été introduite dans une bactérie telle que Escherichia coli , le gène de l’hémoglobine de lapin est alors amplifié au cours de la multiplication bactérienne: nous dirons que le gène de l’hémoglobine de lapin a été cloné dans E. coli et que le bactériophage lambda a servi de vecteur pour le clonage.La méthodologie est très générale. Aux difficultés techniques près, un gène de n’importe quelle espèce peut ainsi être cloné dans E. coli . On peut aussi cloner un gène dans une autre cellule vivante, eucaryote en particulier. La difficulté technique consiste à trouver le vecteur approprié. Elle vient aussi de l’efficacité d’introduction de l’ADN dans la cellule vivante, qui n’est généralement pas aussi bonne que chez E. coli .Cette méthodologie a été initialement appelée «manipulations génétiques», puis «recombinaison génétique in vitro». Le terme de «génie génétique» est actuellement le plus utilisé. En effet, les biochimistes spécialisés, véritables «ingénieurs» de la génétique, savent ouvrager les gènes et les réorganiser à façon dans un chromosome, cela dans le but de cloner un gène, c’est-à-dire d’en assurer la propagation dans un système biologique adéquat.1. Une méthodologie qui a soulevé des passionsLorsque Louis Pasteur, à la fin du siècle dernier, entreprit de préparer le vaccin contre la rage, de vives protestations s’élevèrent. L’Institut Pasteur allait-il être à l’origine d’épidémies qui allaient envahir le XVe arrondissement? Une polémique s’ouvrit et fit la «une» des journaux de l’époque. Aucune épidémie ne vit le jour et tout rentra dans l’ordre. Depuis lors, on sait fort bien qu’une épidémie ne peut se transmettre que dans des circonstances particulières. Travailler un germe pathogène en laboratoire ne peut pas constituer le point de départ d’une épidémie, loin s’en faut, mais il ne faut pas sourire des craintes du public de l’époque. Le propre de la recherche est de défricher l’inconnu et, par conséquent, même le scientifique le plus averti et le plus consciencieux n’est pas toujours capable de répondre clairement des conséquences futures de ses travaux. Il est d’ailleurs bien difficile de faire la part de la responsabilité du scientifique, artisan du progrès, et de celle de la communauté non scientifique qui utilise les découvertes et les développe dans certaines directions. C’est là tout un débat.Voici en 1974 la biologie à nouveau sur le devant de la scène. Cette fois c’est l’hérédité que les «savants» sont capables de modifier à leur gré. Il y a de quoi effrayer, car toucher à l’hérédité, c’est toucher à ce qu’il y a de plus intime et de plus précieux en nous. Certes, il ne s’agit que de modifier l’hérédité de bactéries, mais pourquoi ce pouvoir ne serait-il pas un jour étendu à l’hérédité de l’homme? Et puis, en modifiant les caractères des bactéries, n’allons-nous pas fabriquer des bactéries «hautement pathogènes», capables de disséminer des virus cancérigènes par exemple? Réunis à l’initiative de Paul Berg, de Stanford (États-Unis), les spécialistes décident à Asilomar (Californie), en février 1975, de remettre en question les expériences pour mettre au point les conditions de sécurité à respecter. Mais ils n’avaient pas prévu les conséquences de leur moratoire! Ce fut l’orage. Des discussions très animées passionnèrent l’opinion. Les «règles de sécurité» codifiant les expériences furent élaborées, pas toutes les mêmes dans tous les pays... Des commissions de toutes sortes furent créées et donnèrent leur avis... La politique s’en mêla. Ce fut une période de grande confusion qui porta préjudice au travail scientifique. Maitenant, les passions sont calmées, mais les problèmes d’éthique sont toujours d’actualité.2. Le clonage d’un gèneLe mot clone vient d’un mot grec qui veut dire «jeune pousse». Depuis longtemps, on sait obtenir un clone cellulaire. Cela consiste à isoler une cellule unique et à engendrer à partir de celle-ci une population cellulaire. L’intérêt est d’obtenir une lignée cellulaire génétiquement homogène. Cette technique est très générale, applicable à un virus (bactérien ou animal), une bactérie ou une cellule de mammifère. Elle est indispensable aux études génétiques. Dans la mesure où c’est l’ensemble du patrimoine génétique de la cellule qui a été cloné, il n’y a pas eu isolement et amplification d’un gène particulier. Et pourtant, il importe pour pouvoir étudier un gène de l’isoler et de l’amplifier, c’est-à-dire de réaliser cette fois le clonage d’un gène et non pas d’une cellule entière (fig. 3).Les bactériophages transducteurs répondent dans une certaine mesure à cette préoccupation. Certains bactériophages, en effet, ont la propriété lorsqu’ils infectent une bactérie d’intégrer un gène bactérien dans leur génome (le terme de génome désigne l’ensemble des gènes ; il s’applique aussi bien à un virus, une bactérie ou une cellule de mammifère). Un exemple classique est le bactériophage lambda, qui, au cours de sa multiplication dans le colibacille, intègre parfois dans son génome un gène du colibacille (fig. 1), le gène galactose par exemple. Lorsque le phage lambda se multiplie dans la bactérie, il se forme cent à mille copies du génome du phage dans chaque bactérie parasitée. Le gène galactose porté par le phage est alors amplifié d’autant. On peut considérer, et ceci est une notion nouvelle par rapport au clonage cellulaire, que grâce au phage il y a eu «clonage du gène galactose». En effet, grâce au phage transducteur il y a eu isolement d’un gène (le gène galactose), puis amplification de ce gène. Toute la population (ou clone) de phage transducteur contient ce même gène galactose. Cela est largement utilisé pour étudier la structure et le fonctionnement des gènes bactériens.Cette technique de clonage in vivo n’a permis, au départ, que de cloner des gènes de l’hôte naturel du virus; elle s’applique essentiellement au système bactérie-bactériophage.Aujourd’hui, il est devenu possible d’étendre l’application de cette méthode aux virus des animaux et de l’homme, afin de pouvoir, par leur intermédiaire, cloner des gènes dans des cellules de mammifères [cf. TRANSFERTS DE GÈNES ET TRANSGÉNOSE].Fondamentalement, s’il est possible d’effectuer de telles expériences de recombinaisons génétiques, c’est parce que la nature chimique du matériel héréditaire est la même dans toutes les espèces. Qu’il s’agisse d’un virus d’une bactérie, d’une cellule de plante ou d’une cellule animale, le génome est toujours formé d’un assemblage linéaire de nucléotides (les quatre nucléotides A, C, G et T). Un gène est défini, et uniquement défini, par l’ordre d’enchaînement de ces nucléotides. Seule la complexité du génome varie d’une espèce à l’autre. Si on prend la complexité d’un génome viral égal à 1, celle d’une bactérie est d’environ 100 et celle d’un génome de mammifère d’environ 100 000.Il n’y a donc aucun obstacle théorique à extraire l’ADN du bactériophage lambda d’une part, à extraire le gène de l’hémoglobine du lapin d’autre part et à les fusionner in vitro . On a ainsi artificiellement introduit un gène de lapin dans le génome du phage. Comme l’on sait, d’autre part, réintroduire l’ADN du phage dans E. coli (en d’autres termes, l’ADN du phage est par lui seul infectieux), le phage en se propageant dans les bactéries va propager ce gène étranger appartenant à une espèce très éloignée. Par définition, nous dirons que le gène de l’hémoglobine du lapin a été cloné dans E. coli .On comprend alors toute la puissance des techniques de recombinaison génétique in vitro ou génie génétique. Ces techniques permettent, grâce à une étape in vitro , de cloner n’importe quel gène de mammifère dans le colibacille E. coli . Cette possibilité d’isolement et d’amplification n’est plus limitée à quelques gènes du colibacille, elle a été étendue maintenant à n’importe quel gène de n’importe quelle espèce. Comme nous le verrons, les applications sont très grandes. Le caractère le plus spectaculaire de la méthode est que la notion de «barrière» d’espèce infranchissable qui empêche les échanges génétiques entre espèces différentes se trouve rompue, puisqu’il a été possible de faire porter au colibacille le gène de l’hémoglobine du lapin. Exploité par les amateurs de science-fiction, ce côté extraordinaire a fait craindre, même par des scientifiques très sérieux, la fabrication par inadvertance d’un virus hautement pathogène. Il semble à l’heure actuelle que cette inquiétude soit peu fondée.3. Des enzymes de restriction à la synthèse d’ADNSi cette technologie est possible, c’est grâce aux progrès considérables réalisés dans l’enzymologie de l’ADN. Une étape fondamentale a été la découverte des enzymes de restriction, notamment par Werner Arber (1960-1965) qui a reçu en 1978 le prix Nobel de physiologie ou médecine. Ces recherches concernent un système génétique présent chez les bactéries: le système de restriction-modification. On peut concevoir ce système de façon finaliste comme un système de défense de la bactérie vis-à-vis d’une infection par un bactériophage. Lorsque l’ADN d’un phage pénètre dans une bactérie, il est susceptible de rencontrer deux enzymes, une endonucléase (ou enzyme de restriction) et une méthylase (ou enzyme de modification). La plupart du temps c’est l’endonucléase qui agit en premier et coupe l’ADN étranger, qui se trouve ainsi détruit et devient inactif. La bactérie s’est ainsi protégée de l’infection virale. Exceptionnellement (1 fois sur 10 000 environ), la méthylase agit en premier, «modifie» l’ADN viral qui se trouve alors protégé d’une attaque ultérieure éventuelle par l’endonucléase. Le virus va pouvoir dans ce cas se multiplier dans la bactérie, se propager et infecter d’autres bactéries, tout en conservant sa modification. Comme on le voit, il convient d’être moins finaliste puisque la bactérie possède à la fois une enzyme capable de la protéger et une enzyme capable de protéger l’ADN viral. C’est un exemple d’équilibre biologique. Chaque souche bactérienne possède son propre système de restriction-modification, différent d’une souche à l’autre.Cela nous écarte des recombinaisons génétiques, et les scientifiques qui étudiaient ce système étaient certainement très loin de penser aux applications qu’auraient un jour «les enzymes de restriction». On peut d’ailleurs tout ignorer du système génétique pour utiliser ces enzymes. On les utilise en effet comme des outils pour découper spécifiquement l’ADN. Une enzyme de restriction reconnaît sur l’ADN un site spécifique constitué d’une séquence symétrique de quelques paires de bases (4 à 6) et coupe l’ADN double brin à ce niveau. Certaines enzymes de restriction, lorsqu’elles coupent l’ADN, engendrent des extrémités cohésives. Cette propriété est utilisée pour relier bout à bout des molécules d’ADN entre elles, ce qui facilite leur assemblage. Les enzymes de restriction sont avant tout utilisées pour préparer des fragments d’ADN. Du fait de la coupure spécifique obtenue, on peut ainsi préparer des fragments d’ADN génétiquement définis. Comme les séquences reconnues diffèrent d’autre part d’une enzyme à l’autre, en choisissant l’enzyme appropriée, on peut découper l’ADN «à façon» à peu près à l’endroit désiré. D’une façon générale, une enzyme dont le site de reconnaissance est constitué de quatre paires de bases engendre des fragments plus petits que celui dont le site est constitué de six paires de bases. Tout simplement parce que statistiquement un site de 4 paires de bases se rencontre plus fréquemment sur une molécule d’ADN qu’un site de six paires de bases. Le fait de pouvoir jouer sur la séquence du site et sa longueur donne beaucoup de souplesse à la technologie.Contrairement à ce que l’on pourrait penser à première vue, l’ADN chromosomique d’une cellule eucaryote n’est pas une bonne source de gènes. D’une part, parce que le plus souvent les gènes ont une structure en mosaïque [cf. GÉNOME] et, d’autre part, parce que la complexité du chromosome cellulaire rend très difficile l’isolement précis d’un gène.La possibilité de synthétiser un gène a donc été une découverte technologique très importante. Dans un certain nombre de cas, il est possible de purifier en quantité suffisante un ARN messager (mARN). En s’adressant à un tissu différencié, on peut par exemple purifier le mARN de l’hémoglobine, de l’ovalbumine, de la fibroïne, d’une immunoglobuline, etc., grâce à la découverte d’une enzyme d’origine virale: la réverse transcriptase qui a la propriété de permettre de copier l’ARN en ADN d’abord simple brin, puis double brin. Il est possible de synthétiser un ADN complémentaire (cADN) du mARN; cela constitue une synthèse d’un gène par voie enzymatique. Les difficultés sont d’obtenir un mARN suffisamment purifié et une synthèse complète de cADN. Lorsqu’on connaît la séquence en acides aminés d’un polypeptide, on peut aussi effectuer la synthèse chimique du gène correspondant directement à partir des quatre nucléotides A, T, G, et C. C’est une technique beaucoup plus longue que la précédente et qui devient très délicate à partir d’une certaine taille d’ADN (expérience d’Ikatura et Riggs, 1978).Enfin, de nombreuses autres techniques, toutes indispensables au génie génétique, se sont développées récemment; le lecteur en trouvera l’exposé dans l’article GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE: électrophorèse de fragments d’ADN, amplification par polymerase chain reaction (PCR), détermination de la séquence des molécules nucléiques et peptidiques, etc.4. Les vecteurs et les systèmes de clonageEntrons un peu plus dans la réalité, et voyons en quoi consiste le clonage d’un gène dans E. coli . Nous avons plus haut pris l’exemple du clonage in vivo du gène galactose par le bactériophage lambda avant d’étendre la notion de clonage à n’importe quel gène, et nous avions pris comme exemple l’introduction du gène de l’hémoglobine du lapin dans le génome du phage. Comme on le voit, dans un cas comme dans l’autre, le génome du phage sert de «vecteur» au gène étranger pour le propager dans la bactérie.D’un point de vue plus général, le clonage se déroule en deux étapes: d’abord construction in vitro d’une molécule d’ADN recombinante entre un ADN vecteur et le gène que l’on désire cloner, puis introduction et propagation dans E. coli de cette molécule d’ADN hybride. Une molécule d’ADN vecteur est une molécule qui possède un système de réplication autonome qui lui permet de se multiplier et donc d’amplifier un gène quelconque. Deux types d’ADN répondent à ce critère: le génome des phages et les plasmides.Les plasmides sont des molécules d’ADN circulaires, autoréplicables, présentes dans de nombreux types de cellules d’où on peut les extraire. Ces plasmides, véritables chromosomes accessoires, ont une taille environ cent fois plus petite que celle de l’ADN chromosomique bactérien. Leur petite taille les rend faciles à manipuler. Pour cloner un gène, on utilise des plasmides amplifiables qui sont présents à plusieurs milliers d’exemplaires dans E. coli . Les plasmides utilisés actuellement ont d’ailleurs été en partie construits de façon à posséder à la fois le système de réplication et un ou deux caractères de résistance à un antibiotique qui permettent de sélectionner les bactéries qui les contiennent.Un plasmide actuellement très employé porte le nom de pBR322. Il est formé de quatre mille trois cents paires de bases (le chromosome de E. coli est formé d’environ 106 paires de bases) et contient deux gènes de résistance à la tétracycline (caractère TcR) et à l’ampicilline (caractère ApR). Les souches bactériennes qui portent le pBR322 sont donc résistantes à la tétracycline et à l’ampicilline. Les positions des sites de coupure par les enzymes de restriction sont parfaitement connues, car la séquence primaire du plasmide a été entièrement déterminée. Une fois extrait de la bactérie, le plasmide peut être séparé de l’ADN chromosomique par ultracentrifugation car sa densité est différente. Ainsi purifié, le plasmide peut être ensuite réintroduit dans les bactéries. La paroi bactérienne est fragilisée par le chlorure de calcium, ce qui facilite sa pénétration. Cette étape permet la «transformation bactérienne». L’efficacité n’est pas très grande. En moyenne, seule une molécule de plasmide sur cent mille pénétrera. Mais cela est largement suffisant. Un nanogramme de plasmide permet d’obtenir environ mille clones bactériens transformés.Pour construire à partir d’un plasmide une molécule recombinante, il y a schématiquement trois techniques possibles. La première consiste à ouvrir le plasmide en utilisant une enzyme de restriction qui possède sur le plasmide un site unique et qui engendre des extrémités cohésives. Par exemple, le pBR322 possède un seul site BamHI. On coupe, d’autre part, le fragment de l’ADN que l’on cherche à cloner par BamHI et on mélange le plasmide ouvert et le fragment de l’ADN coupé par BamHI. Il y a appariement entre les extrémités cohésives BamHI du plasmide et celles du fragment d’ADN. On ajoute une enzyme appelée ADN ligase (par exemple l’ADN ligase du bactériophage T4) qui assure la formation de liaison covalente entre le plasmide et le fragment d’ADN.La deuxième méthode consiste à ouvrir le plasmide en un point par une enzyme de restriction et à y ajouter des extrémités cohésives artificielles. Ainsi on peut ouvrir le plasmide pBR322 au niveau du site PstI unique et ajouter aux extrémités 3’ une courte séquence de polydG. Cela grâce à l’enzyme terminal-transférase. On ajoute, d’autre part, aux extrémités 3’ du fragment d’ADN une courte séquence de polydC. Cette technique est intéressante lorsque le fragment ne possède pas de site de restriction approprié au plasmide vecteur.La troisième méthode consiste à ouvrir le plasmide par une enzyme de restriction qui engendre des extrémités franches et à insérer le fragment d’ADN possédant également des extrémités franches. L’ADN ligase du bactériophage T4 a la propriété d’assurer la ligature de fragments d’ADN à extrémités franches.Quelle que soit la méthode utilisée, les plasmides hybrides sont introduits dans les bactéries selon les modalités de la transformation : traversée de la paroi des cellules réceptrices (fig. 1). L’existence d’une résistance aux antibiotiques facilite la détection des clones transformés. Ainsi, comme le site BamHI du pBR322 est situé dans le gène TcR, les clones bactériens qui possèdent les plasmides recombinants porteurs d’un fragment d’ADN inséré dans ce site sont résistants à l’ampicilline et sensibles à la tétracycline. Cela permet de les distinguer des clones qui n’ont pas reçu de plasmide (clones sensibles aux deux antibiotiques) et de ceux qui ont reçu un plasmide reconstitué sans fragment étranger (clones résistants aux deux antibiotiques). La détection des plasmides recombinants peut aussi s’effectuer par autoradiographie en utilisant comme «sonde» de l’ADN radioactif pour effectuer une hybridation in situ . Si le fragment intégré porte un gène dont l’expression se détecte facilement (activité enzymatique par exemple), celle-ci peut être recherchée dans la bactérie. Le fragment de l’ADN intégré peut enfin être caractérisé physiquement par la détermination de la «carte de restriction» (c’est-à-dire de la position des sites d’enzymes de restriction sur le fragment de l’ADN). Cela permet de caractériser le fragment lorsque la carte de restriction est connue. La carte de restriction permet aussi de préciser le sens dans lequel le fragment est inséré. Ce qu’il est indispensable de connaître lorsqu’on cherche l’expression d’un gène inséré. Bien d’autres tests peuvent être utilisés en fonction du problème posé.Le bactériophage lambda est l’autre type de vecteur utilisé pour cloner un fragment d’ADN dans E. coli . Le génome dans la particule phagique lambda est linéaire et constitué d’environ quarante-cinq mille paires de bases. La partie centrale du génome contient des gènes non essentiels à sa multiplication. La construction d’un hybride peut être effectuée en découpant la partie centrale du génome par une enzyme de restriction et en la remplaçant par le fragment d’ADN à cloner. Au cours de cette opération, il faut éviter de couper le génome du phage dans sa région essentielle et donc il faut choisir des mutants de lambda qui n’ont pas de sites de coupure pour l’enzyme utilisée dans cette région. La molécule hybride est réintroduite dans E. coli par une méthode identique à celle utilisée pour les plasmides. Une fois dans la bactérie, l’ADN du phage se multiplie, il y a formation de particules phagiques qui lysent les bactéries, et l’on observe les plages de lyses sur un tapis bactérien développé à la surface d’un milieu nutritif solide. Il existe d’autres vecteurs lambda. Certains par exemple permettent de placer l’expression d’un gène étranger sous le contrôle du promoteur lactose.Le système E. coli est de loin l’instrument de clonage le plus utilisé. Il existe néanmoins des plasmides qui permettent d’utiliser Bacillus subtilis comme bactérie réceptrice.Les cellules eucaryotes peuvent également être utilisées pour cloner un gène. L’avantage est de pouvoir replacer un gène eucaryote dans un milieu plus approprié à son expression. Les levures constituent un instrument fondamental pour le clonage de «chromosomes artificiels». D’autre part, pour introduire un gène dans l’organisme d’un mammifère, on peut utiliser un virus comme vecteur, par exemple le virus SV 40. L’efficacité de transformation (c’est-à-dire de pénétration de l’ADN dans la cellule) est beaucoup moins élevée que chez E. coli , mais encore suffisante. Ainsi le gène de l’hémoglobine porté par le génome du virus SV 40 a pu s’exprimer dans une cellule en culture: il y a eu synthèse d’hémoglobine. Le domaine des vecteurs eucaryotes et des systèmes de clonage chez les mammifères est donc en plein essor.5. Les applications de la méthodeLe clonage de gènes eucaryotes dans E. coli reste un vaste domaine d’application. Les exemples sont encore très nombreux. La technique de clonage est de nos jours bien codifiée.Les premiers hybrides ont été construits à partir de fragments d’ADN eucaryotes chromosomiques relativement faciles à purifier, ce qui est l’exception. Le but était de démontrer qu’un fragment d’ADN eucaryote peut être propagé dans E. coli . Ainsi, les gènes ribosomiques du crapaud Xenopus laevis peuvent être obtenus à l’état relativement pur car ils ont une densité très particulière. Leur propagation dans E. coli démontrait clairement que les bactéries (cellules procaryotes sans noyau) n’élimineraient pas l’ADN provenant de cellules eucaryotes (avec noyau). Le résultat était remarquable en soi. C’était le premier clonage d’un gène eucaryote dans E. coli . On peut ici souligner une particularité essentielle de la technique de clonage. La purification d’un fragment d’ADN par une méthode physique (l’électrophorèse ou l’ultracentrifugation par exemple) est toujours relative, même lorsqu’elle est très poussée. Les gènes ribosomiques du crapaud étaient probablement purs à 95 p. 100, ce qui est excellent pour une méthode physique. Par contre, le clonage permet une purification absolue. En effet, un clone est issu d’une molécule d’ADN, il n’y a donc aucune contamination; c’est là une notion très importante.Le premier gène synthétisé par voie enzymatique et cloné fut le gène des chaînes globiniques 見 et 廓 de l’hémoglobine de lapin. L’obtention relativement aisée de mARN à partir de réticulocytes avait permis d’obtenir un cADN assez pur.Cloner des fragments d’ADN chromosomique de cellules permet d’étudier la structure de ces fragments et donc d’élucider l’organisation génétique du génome. Le travail le plus poussé dans ce domaine est celui effectué sur la région contenant le gène de l’ovalbumine. Cela a permis de montrer qu’il existe au voisinage de ce gène un gène ayant une structure primaire voisine et de fonction inconnue. Bien des surprises viendront probablement de l’analyse progressive fragment par fragment des génomes des cellules supérieures. Il existe d’ailleurs des «collections» de fragments d’ADN chromosomique de différentes espèces clonés dans des plasmides ou dans le bactériophage lambda. Ces collections sont à la disposition des scientifiques. Dans le domaine de la biologie des virus animaux, le clonage apporte également beaucoup. Il est par exemple possible de cloner les cADN correspondant à des mARN viraux et de comparer leur structure avec celle de l’ADN viral correspondant. Cela renseigne sur les mécanismes d’«excision-encollage» des mARN viraux. Dans un domaine très différent, le clonage permet d’amplifier des génomes ou fragments de génomes de virus qu’il est difficile de produire en quantités suffisantes. Le meilleur exemple est celui du clonage du génome du virus de l’hépatite B. Comme il n’existe pas de système cellulaire capable de propager le virus, la seule source de virion est le sérum du sujet atteint d’hépatite. Il est donc très difficile de s’approvisionner en ADN viral en quantités suffisantes. Le clonage du génome viral a permis d’avoir une source d’ADN très importante: un litre de culture bactérienne fournit une quantité d’ADN viral équivalant à ce que l’on peut obtenir à partir d’un mètre cube de sérum de malade.L’expression de gènes eucaryotes dans E. coli débouche, entre autres, sur des problèmes de recherche appliquée: la possibilité d’utiliser les bactéries comme une «fabrique de protéines animales ou humaines» (fig. 4). À partir du moment où un gène eucaryote est propagé dans E. coli , pourquoi ne pas en attendre son expression sous la forme d’une protéine? Et pourquoi ne pas fabriquer industriellement par fermentation des hormones peptidiques humaines, de l’interféron ou des antigènes viraux qui pourraient servir de vaccins? À l’heure actuelle, cela ne paraît plus utopique, il y a déjà des exemples concrets de réussite.Le premier succès a été obtenu à partir d’un gène synthétisé chimiquement: le gène de l’hormone de la somatostatine. Celui-ci a été alors fusionné avec la fin du gène de la 廓-galactosidase porté par un plasmide. Cette fusion génétique s’est exprimée sous la forme d’une protéine hybride correspondant à la 廓-galactosidase et à la somatostatine. Un codon méthionine ayant été placé au niveau de la jonction, l’hydrolyse de la protéine hybride par le bromure de cyanogène a permis de libérer la somatostatine. Ultérieurement, les gènes de l’insuline, de l’ovalbumine, de l’hormone de croissance, de la dihydrofolate réductase furent ainsi exprimés dans E. coli . Certes, les quantités de protéines spécifiques ne sont pas importantes, mais le principe est acquis: il est possible de synthétiser une protéine humaine dans E. coli . Les débouchés sont évidents. Prenons un seul exemple: on a traité les malades atteints du diabète par de l’insuline de porc ou de bœuf, ce qui avait quelque inconvénient. On peut obtenir par fermentation de l’insuline humaine, des hormones de croissance, et plus généralement une gamme de produits désignés par l’expression r-molécules, autrement dit molécules «recombinées», ce qui rappelle leur origine, car elles sont issues de recombinaisons génétiques. L’industrie pharmaceutique produit maintenant un nombre important de r-molécules.6. Perspectives d’avenirQuelles conclusions tirer? Il est clair que le génie génétique est une méthodologie en pleine expansion qui a déjà apporté beaucoup en recherche fondamentale et qui apportera probablement aussi beaucoup dans le domaine de la recherche appliquée. Il faut néanmoins être réservé et ne pas vouloir lui donner une importance démesurée. Un certain nombre de questions restent en suspens. Pourra-t-on un jour greffer dans un organisme entier (animal ou plante) une nouvelle information génétique et faire acquérir un nouveau caractère héréditaire? Le problème est beaucoup plus complexe que celui de la simple amplification d’un gène dans une bactérie, organisme unicellulaire.Les maladies héréditaires (certaines anémies, l’hémophilie, les myopathies, etc.) sont dues à l’existence d’un gène défectueux. Le dépistage des gènes défectueux a beaucoup avancé grâce au repérage fait par les sondes d’ADN .Les plantes sont incapables d’utiliser directement l’azote de l’air. Certaines, comme le haricot ou le soja, poussent grâce à des bactéries symbiotiques (bactérie du genre rhizobium pour les légumineuses) qui transforment l’azote atmosphérique en ammoniac assimilable par la plante. Pour d’autres, comme le blé, il faut ajouter des engrais azotés très coûteux. Les gènes de fixation de l’azote dans des bactéries associées aux racines du blé, ou même directement dans les chromosomes de la plante. De même des gènes de résistance aux pesticides ont pu être incorporées chez certains végétaux. Le domaine de la génétique agrobiologique offre ainsi d’immenses perspectives.
Encyclopédie Universelle. 2012.